Tous les langages attendus comme responsables finissent par se ressembler quand ils rassemblent les regards à courte vue. Si bien qu’ils confirment la croyance que « dèmen sé on kouyon ». Au lendemain d’une catastrophe naturelle, on ne prévient pas la prochaine ; au lendemain d’une élection on ne regarde que celle qui arrive dans le plus court terme. Comme si la Guadeloupe, en tant que territoire et communauté humaine, vivait ses dernières années, voire ses derniers mois. Demain est un couillon, c’est en tout cas ce que conclue le simple bon sens populaire, lorsque c’est toujours l’intérêt immédiat, économique ou politique, qui donne le la, dans une cacophonie où l’avenir ne trouve pas place. On peut plus aisément commémorer 72 ans de départementalisation ou 50 ans du massacre de 1967, selon le gain qu’on en tire aujourd’hui, que vouloir ou imaginer la Guadeloupe dans 50 ans, même dans 10 ans. C’est pourtant la qualité attendue du dirigeant politique, voire même économique : s’efforcer d’être prophète relativement honnête en son pays, plutôt que d’arrêter son regard sur le bout de ses chaussures. Quand M. Francis Lignières, président du Groupement des Planteurs de banane promet « trois ans pour revenir à la production d’avant [l’ouragan] Maria, » il table sur trois années sans ouragan. Sans même le moindre vent un peu violent, suffisant pour qu’aucun bananier ne reste sur pied. Il pense –accordons le lui- aux 3000 emplois directs et indirects engendrés par l’économie bananière. Néanmoins, ne pense-t-il pas davantage à la banane qu’aux salariés ? La culture bananière est si sensible aux aléas climatiques qu’on ne comprend pas cet acharnement thérapeutique si elle n’est encore source de profits juteux pour les gros exploitants. Et puis, le maintien pendant longtemps, trop longtemps, de l’usage du chloredécone, au détriment de la santé de tout un peuple, ne confirme-t-il pas cette ligne de conduite presque proverbiale : qu’importent les hommes, pourvu qu’on ait le fric ! On évoque déjà, comme chaque année, les effets désastreux des pluies sur la récolte de cannes et leur teneur en sucre. Le sucre…Le sucre ! Ce produit pluri-centenaire, autour duquel et le paysage et la composition de la population et la formation sociale que nous avons hérités du statut colonial se sont construits ! On a beau répéter que, dans l’économie mondiale telle qu’elle est devenue, l’économie sucrière de papa se cassera forcément la gueule… Hélas, on continue à sucrer à outrance les discours officiels qu’on sert au peuple. Tout se passe comme si la terre de Guadeloupe, quoiqu’il en coûte aux guadeloupéens d’aujourd’hui, serait spécialisée de toute éternité dans l’exportation selon les besoins d’une Métropole. Comme si, en conséquence, la population, pour ses besoins élémentaires, serait définitivement spécialisée dans consommation de produits importés par cette même Métropole, laquelle maintient la spécialisation de la terre. Cercle vicieux, logique mortifère. Pour un tel dessein, pas besoin d’autant d’emplois qu’un autre avenir demanderait. Même pas besoin d’une population plus nombreuse… Et l’on s’étonne que la population des sans-emploi s’accroisse en se rajeunissant, pendant que, dans l’ensemble, la population totale diminue et vieillit ! Autre exemple de cette myopie, ou vision sélective de l’immédiat, de la bouche du Président Chalus lui-même. C’est à propos du soutien de la Communauté Régionale au projet de tramway de Cap Excellence. Ce projet prétend porter sur le long terme une solution non polluante à l’explosion du transport automobile individuel, qui condamne à l’embolie quotidienne les réseaux de circulation. Le président est libre d’avoir un point de vue critique de fond sur une telle entreprise, que le public gagnerait à entendre. Mais il lâche tout de go, en substance : « les guadeloupéens veulent de l’eau dans leurs robinets, si j’avais x millions d’euros, je les mettrais sur la réparation des réseaux de distribution d’eau et non sur les tramways » Transposé en termes de gestion complexe d’un ensemble : « Mes enfants- sans mourir de soif – souffrent de manque d’eau courante tous les jours et en réclament à grands cris. Par conséquent, je mise tout sur l’eau : le transport pour aller à l’école ou au travail, les livres nécessaires à l’éducation et la culture, tout cela attendra. » C’est du moins ce qu’on a compris. Le politique est moins digne de ce nom lorsqu’il n’entend que les cris les plus perçants de l’actualité, au détriment des plus souterrains qui alertent sur les catastrophes de demain.